bien tristement nommé… encore une marée noire !
77.000 tonnes de fuel lourd menacent les côtes européennes. Déjà près de 200
kilomètres ont été souillés par l'arrivée de nappes éparses. L'impact
sur l'environnement est terrible dans cette région de Galice particulièrement
riche en biodiversité marine. Le préjudice pour les activités humaines
sera également très lourd : déjà plus de 5000 familles voient s'envoler
les revenus qu'ils tirent, notamment en fin d'année, de la commercialisation
des coquillages et des crustacés qui abondaient dans cette région. La
colère ne faiblit pas. Elle se double ici d'un sentiment d'écœurement
: tout avait pourtant été dit après le naufrage de l'Erika en décembre
1999, il y a un peu moins de trois ans. Et l'histoire se répète : un navire
usé, âgé de 26 ans ; pavillon de complaisance attribué par les Bahamas
; contrôles insuffisants ; équipage asiatique probablement sous payé ;
propriétaire non identifiable derrière l'écran d'une société ayant pignon
sur rue à Athènes, Grèce, Europe … nous ne sommes pas dans la caricature
mais bien dans le schéma classique de l'organisation des transports de
produits "noirs" ces hydrocarbures de faible valeur commerciale qui finissent
trop régulièrement sur nos côtes.
Le
naufrage
Le
13 novembre le Prestige fait état d'une brèche de 50 mètres de large sur
10 mètres de haut dans son flanc droit. Il est alors à une cinquantaine
de milles du Cap Finisterre en Galice. Les autorités espagnoles décident
de prendre en remorque le bateau en perdition et de l'éloigner des côtes.
Il aurait probablement été plus courageux, même si le risque était important,
de l'acheminer au plus vite dans le port le plus proche pour procéder,
à l'abri, au transfert du fuel dans un autre navire. Mais les gouvernements
préfèrent se "débarrasser" du problème en repassant le rafiot à d'autres.
C'est ici aux Portugais que le gouvernement espagnol espérait "déléguer"
la gestion de cet encombrant pétrolier. Guéguerre stupide autant que révoltante
quand on considère que c'est l'environnement européen, le patrimoine mondial
qu'il faut préserver. Six jours après le début de l'avarie le Prestige
sombre dans les eaux de l'Atlantique. Par 3500 mètres de fond la vieille
carcasse de métal ne résistera pas aux fortes pressions et le navire a
toutes les chances de se disloquer. On nous dit bien sûr que les basses
températures de ces profondeurs risquent de figer le fuel… encore faudrait-il
que ce produit ai le temps de figer avant que les cuves n'implosent sous
la pression des profondeurs. Le fuel remontera inévitablement en surface
et ceux qui espéraient faire ainsi disparaître le problème risquent d'avoir
de très mauvaises surprises. Les autorités espagnoles sont coupables de
ne pas avoir pris les mesures nécessaires au pompage rapide de la cargaison
pour mettre en sécurité ce fuel polluant. C'est pourtant ce qu'avait proposé
de faire Greenpeace Espagne dès
l'annonce de l'avarie.
Du pétrole sur
nos plages
De
fait les 70.000 tonnes de fuel arriveront un jour ou l'autre sur les côtes
d'Espagne, du Portugal et peut-être même de France. Le fuel va remonter
en surface et sera plus ou moins dispersé par la haute mer. Les courants
et les marées ramèneront ces produits vers les côtes. Ce seront probablement
de petites nappes, des galettes, des boulettes qui affecteront le littoral.
Les plages françaises du sud-ouest ne sont pas à l'abri de cette pollution
: les courants dans le golfe de Gascogne tendent à repousser vers le fond
du golfe les eaux de surface - et ce qui flottent sur elles - qui bordent
la côte nord de l'Espagne. Nous risquons donc de voir des souillures de
ce type pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois.
Le fuel
Le
fuel lourd transporté par le Prestige n'est pas très différent
de celui vomit par l'Erika en 1999. Les hydrocarbures sont des
produits toujours toxiques pour l'environnement et pour l'homme. Greenpeace
a toujours pris soin de souligner le caractère cancérigène de ces fuels,
issu de coupes lourdes de distillation. Au moment des travaux de nettoyage
des dégâts de l'Erika, nous avions déjà pris soin de recommander
à tous les bénévoles que nous avons mobilisés l'usage de combinaison de
protection et de gants spéciaux pour manipuler ce produit. Souvent l'information
sur la toxicité de ce fuel n'est pas suffisante.
La qualification de
fuel lourd regroupe une série de produits pétroliers de mauvaise qualité
provenant des fonds de colonnes de distillation. Le fuel lourd est caractérisé
par un certain nombres de critères physico-chimique : point de fusion,
température d'inflammation, viscosité, teneur en eau, taux d'hydrocarbures
aromatiques polycycliques, de soufre, de métaux lourds… La composition
précise d'un fuel lourd varie donc significativement d'une source à l'autre,
d'une raffinerie à l'autre. Ces produits étaient il y a quelques années
encore considérés comme des déchets et ils ne faisaient l'objet d'aucune
valorisation. Avec l'augmentation des prix du pétrole et de tous ses dérivés,
les industriels ont cherché à promouvoir l'utilisation de tous les produits
possibles. Des techniques nouvelles de traitement (adjonction d'additifs
entre autre) et de valorisation (évolution des brûleurs en centrale thermique)
ont permis d'exploiter ces coupes les plus lourdes comme carburants de
certains navires ou comme combustibles pour certaines centrales thermiques,
dans des pays peu regardant en matière de pollution atmosphérique. En
effet, la combustion de ces fuels est très polluante et nécessite des
dispositifs de filtration de fumées particulièrement performant pour éviter
de rejeter dans l'environnement les dioxines, les composés soufrés et
autres poussières chargées de métaux lourds.
Les atteintes à
l'environnement et l'impact sur les activités humaines
Le
fuel est un produit toxique mais ce sont surtout ses caractéristiques
physiques qui affectent l'environnement marin et côtier. Les oiseaux sont
trompés par les reflets des nappes en surface et plongent dans le fuel
pensant qu'il s'agit d'un banc de poissons. Ils sont alors englués et
promis à une mort quasi certaine. Lors de la marée noire de l'Erika
on a pu mesurer que moins de 10% des oiseaux nettoyés et soignés survivaient
à ce drame. Le fuel très visqueux colmate tout ce qu'il touche, asphyxiant
la vie des zones polluées sur la ligne littorale. Les écosystèmes de la
zone découverte par les marées sont particulièrement affectés par ces
marées noires. Ils le sont pour de nombreuses années car ces produits
ne sont que très lentement dégradés. A noter que les opérations de nettoyage,
si elles ne sont pas conduites avec précaution, peuvent être également
très dévastatrices. Le criblage du sable, très excessif sur les côtes
bretonnes après la marée noire de l'Erika, déstabilise durablement
l'équilibre des plages qui sont alors beaucoup plus significativement
érodées par les vagues et les marées. De la même façon le nettoyage des
rochers au jet d'eau chaude tend à tuer toute forme de vie dans ces milieux
très complexes. Le drame d'une marée noire est que la réparation est très
compliquée à conduire et ne corrige que très partiellement les atteintes.
La pêche et la conchyliculture sont des activités artisanales très importantes
dans cette région de Galice. Déjà plus de 5000 familles sont affectées
par cette catastrophe. Ce chiffre devrait augmenter significativement
avec l'élargissement de la zone qui sera touchée par cette marée noire.
Au delà du pétrole
Le pétrole est un produit particulièrement polluant à chaque étape de
son exploitation depuis son extraction du sous sol, jusqu'à sa consommation
finale en passant par son transport et son raffinage. La combustion des
produits pétroliers est responsable de plus de 40% des émissions de dioxyde
de carbone qui s'accumule dangereusement dans l'atmosphère, aggravant
l'effet de serre qui perturbe le climat planétaire. L'environnement mondial
paye un trop lourd tribu pour le seul profit des compagnies pétrolières.
Il est temps que nos sociétés s'affranchissent de leur très forte dépendance
au pétrole qui reste aujourd'hui la principale source d'énergie consommée
dans le monde.
La sécurité des transports
maritimes
Force
est de constater que rien, ou si peu, n'a changé depuis la catastrophe de l'Erika.
Dès la fin de l'année 2000, qui avait été également marquée par le naufrage
à proximité de Cherbourg du chimiquier Ievoli Sun, la Commission européenne
avait proposé une série de mesure pour améliorer la sécurité des transports
maritimes autour de l'Europe, répondant notamment aux propositions transmises
par Greenpeace dès le mois de janvier 2000. Un premier train de mesure dit Erika
1 a été adopté le 12 décembre 2001, deux ans jours pour jours après le naufrage
de l'Erika. Ce paquet "Erika 1" prévoit le renforcement des contrôles
des navires entrant dans les ports européens, l'amélioration de la qualité du
travail des sociétés de classification chargé d'attribuer les autorisations
de navigation et l'élimination progressive des pétroliers à simple coque suivant
un calendrier allant jusqu'à 2015. Si ces mesures sont plutôt encourageantes,
il faut souligner qu'elles ne rentreront en vigueur que dans la fin de l'année
2003 : il faut en effet un délai de 18 mois pour que ces directives européennes
soient retranscrites dans les différents états membres. Le deuxième paquet de
mesures dit "Erika 2" prévoit également trois domaines d'améliorations.
La création d'une agence européenne de sécurité maritime devrait effectivement
aider à l'harmonisation des contrôles en Europe. Reste à définir la localisation
de cette agence. Les grecs sont bien évidemment candidats. Cependant l'irresponsabilité
récurrente des armateurs grecs en matière de sécurité maritime devrait faire
réfléchir à deux fois les états membres avant qu'ils ne fassent leur choix.
Le paquet Erika 2 prévoit également de renforcer le contrôle du trafic
maritime avec une obligation d'informations préalables pour les navires souhaitant
entrer dans les eaux européennes. Cette obligation pourrait permettre aux autorités
européennes d'imposer une visite de contrôle à un bateau réputé peu sûr. Dans
ces conditions le Prestige quittant Riga en Lettonie aurait pu se voir
imposer un contrôle par exemple à Rotterdam où, sans doute, la faiblesse de
sa coque aurait été dépistée, empêchant cette poubelle flottante de poursuivre
sa route ! Mais ces mesures ne sont toujours pas adoptées par l'Union européenne…
Ce paquet envisage enfin de redéfinir les règles d'indemnisation des victimes
en proposant la création d'un nouveau fonds d'indemnisation plafonné à un milliards
d'Euros. Mais ce régime ne pointant pas spécifiquement la responsabilité des
armateurs et des affréteurs ne constituera qu'une amélioration à la marge. Une
nouvelle fois la charge de l'indemnisation sera reportée sur la collectivité
des compagnies pétrolières et sur les contribuables européens sans pointer le
responsable spécifique d'une catastrophe donnée. Greenpeace préconise un régime
de responsabilité illimité imposé au couple "armateur-affréteur" pour le transport
de toute matière dangereuse. Dans ces conditions, les compagnies d'assurance
seront les premières à imposer le renforcement des contrôles sur les bateaux
qu'elles devront assurer. Nous entrerons alors progressivement dans un cycle
vertueux d'amélioration de la sécurité des transports.
Autres infos sur : http://www.greenpeace.fr